Epuisement professionnel des dirigeants

Etat des lieux de la prise en compte de la santé des dirigeants

 

La santé au travail est abordée notamment sous l’angle de la prévention des risques psychosociaux et du développement de la qualité de vie au travail. La souffrance au travail, le stress ou encore l’épuisement professionnel peuvent entraîner des conséquences graves sur la santé et la vie des individus. Néanmoins, nous remarquons que les différents travaux et publications sur le sujet concernent une catégorie bien particulière de travailleurs : les salariés. Les dirigeants sont souvent les grands oubliés de ces études !

Face à ce constat, nous ne pouvons alors que nous réjouir des avancées en matière de prise en compte de la santé des dirigeants ces dernières années, marquées notamment par la création de l’observatoire AMAROK en 2009. Ce dispositif s’intéresse à la santé des travailleurs non-salariés : dirigeants de TPE et PME, commerçants indépendants, professions libérales, artisans… Plus récemment, nous pouvons aussi souligner les évolutions législatives avec la publication de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail qui s’intéresse, enfin, au suivi de la santé du chef d’entreprise. Elle prévoit ainsi pour les travailleurs non-salariés la possibilité d’être suivis par les Services de Prévention et de Santé au Travail (SPST).

La santé des dirigeants a été particulièrement questionnée au regard de la crise sanitaire liée à la COVID-19 que nous traversons depuis mars 2020, marqué par le premier confinement. Une étude de AIPALS met en avant un risque de burnout pour 1 dirigeant sur 2 (50,9%). Ce risque serait même très élevé pour 9,7% des répondants (étude réalisée auprès de 256 chefs d’entreprise dont la majorité sont dirigeants d’une TPE). A titre de comparaison, avant la crise sanitaire, d’autres études estimaient un risque « très élevé » de burnout oscillant entre 4% et 6,5%. Ces chiffres montrent la dégradation de la santé des dirigeants pendant cette période.

Au-delà des conséquences sur la santé des individus (fatigue, santé physique, santé mentale, qualité du sommeil, sentiment de solitude, stress…), le risque de burnout fait également courir un risque pour la stabilité et la pérennité de l’entreprise. Ce constat est particulièrement vrai pour les TPE / PME où la place du dirigeant est centrale dans le bon fonctionnement de l’organisation. Ce dernier constitue le premier maillon d’une entreprise en forme !

RPS, stress, épuisement professionnel : des notions et frontières parfois floues

Les risques psychosociaux (RPS) sont définis comme un risque pour la santé physique et mentale des travailleurs. Leurs causes sont à rechercher à la fois dans les conditions d’emploi, les facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail. Ils peuvent concerner toutes les entreprises, quel que soient leur taille et leur secteur d’activité. Si certains facteurs de risques tels qu’identifiés dans des travaux scientifiques peuvent s’appliquer aux dirigeants (charge de travail, responsabilités, manque de reconnaissance, conflits avec un salarié…), il apparaît que le dirigeant est exposé à des facteurs de stress bien particuliers. Ceux généralement perçus par les dirigeants comme étant les plus stressants sont les suivants :
  • Erreur stratégique : le poids des responsabilités est particulièrement important chez le dirigeant puisque de lui dépend la pérennité de l’entreprise. Bien que ce facteur puisse également se retrouver chez les cadres supérieurs, il apparaît plus marqué chez le chef d’entreprise. La crainte de prendre une mauvaise décision est donc d’autant plus forte.
  • Problème de trésorerie : la stabilité financière de l’entreprise est l’une des principales préoccupations des dirigeants. La crainte ou l’exposition à des problèmes de trésorerie durant la crise COVID ont concerné de nombreux dirigeants. Certains secteurs d’activité ont été davantage touchés. Les plus petites entreprises sont les plus exposées.
  • Procédures judiciaires : des procédures judiciaires engagées par un salarié aux prud’hommes, ou encore en justice par un client mécontent sont des situations particulièrement stressantes à gérer pour les dirigeants. Elles présentent notamment un risque pour la renommée de l’entreprise ainsi que sa stabilité financière.
  • Dépôt de bilan : forte heureusement il ne concerne qu’une faible part des dirigeants. Toutefois, il s’agit d’un des évènements les plus marquants pour une entreprise puisqu’il constitue sa mort. Il est souvent vécu comme un échec personnel.
D’autres facteurs de stress perçus comme moins intenses par les dirigeants, mais restant tout autant spécifiques à cette activité, existent. Il s’agit notamment de facteurs liés à la gestion de l’Humain et des relations professionnelles au sein de l’organisation. Nous pouvons citer, à titre d’exemples, le fait d’être confronté aux revendications du personnel, d’être en conflit avec un fournisseur, l’absence prolongée ou répétée du personnel. Nous retrouvons également des facteurs liés aux obligations légales, notamment en cas de contrôle des autorités. Tous ces éléments peuvent impacter la santé du dirigeant mais également la pérennité de l’entreprise : c’est la particularité de ces facteurs. C’est pourquoi les échelles de mesures classiques, dans le cadre des RPS, ne sont pas adaptées.
Il est devenu très courant de parler du burnout, ou d’épuisement professionnel, mais nous rencontrons souvent des travailleurs qui le définissent de manière très différente. Si au départ il était surtout associé aux métiers du soin et de l’aide à la personne, il s’agit aujourd’hui d’une réalité pouvant toucher l’ensemble des secteurs d’activité. Le burnout peut également concerner des personnes qui exercent des activités non rémunérées, telles que le travail d’un étudiant ou le travail domestique. Le burnout constitue un ensemble de réactions consécutives à des situations de stress professionnel chronique. Freudenberger, le psychiatre qui a été le premier à parler de cet état d’épuisement décrit ainsi le burnout : « Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte ». Le burnout (littéralement « brûlure interne ») se traduit alors par un épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes. Si « l’épuisement » est un état caractéristique du burnout, ce syndrome s’avère en réalité plus complexe et peut être décrit au travers d’un processus comptant d’autres dimensions. En effet, les travaux scientifiques ont permis de concevoir le burnout comme un processus de dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions :
  • L’épuisement émotionnel : sentiment d’être vidé de ses ressources émotionnelles
  • La dépersonnalisation ou le cynisme : insensibilité au monde environnant, déshumanisation de la relation à l’autre (les usagers, clients ou patients deviennent des objets), vision négative des autres et du travail
  • La diminution de l’accomplissement personnel au travail : sentiment de ne pas parvenir à répondre correctement aux attentes de l’entourage, dépréciation de ses résultats, sentiment de gâchis
Le stress quèsaco ? La science définit qu’un état de stress survient quand il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Le stress est un mécanisme physiologique naturel et utile à la survie de l’individu. Il libère l’énergie et procure la motivation nécessaire pour faire face aux situations difficiles et pour relever des défis. Il aide à focaliser également l’attention, à mobiliser l’énergie et à inciter à l’action, ce qui lui donne essentiellement une fonction adaptative. Originellement, le stress aigu (ponctuel) assure la survie, l’adaptation et l’évolution des espèces. Face à un danger physique, nous avons trois réactions classiques, les ≪ 3F ≫ en anglais, Fight, Fly et Froze : le Combat, la Fuite ou le Gel. Les deux premières réactions sont les plus connues, elles sont d’ailleurs nommées en français « la réaction de combat-fuite ». Il est important de présenter le troisième mécanisme qui est moins connu, moins courant car plus ≪ extrême ≫. Il s’agit du froze, du gel, de la sidération. Il survient la plupart du temps lors de confrontations à des dangers extrêmes. Un point important concerne la temporalité du stress. Il peut parfois être aigu, de courte durée, comme lorsqu’on veut rattraper son bus : une fois à l’intérieur, on se calme, on reprend son souffle et on passe à autre chose. D’autres fois, il peut s’inscrire dans la durée comme lorsqu’on rencontre des difficultés au travail depuis plusieurs mois et qu’en rentrant à la maison, on continue à y penser. Quand le stress s’inscrit dans la durée, on parle de stress chronique. Dans un premier temps, On tient bon, mais si le stress ne s’arrête pas, on entre dans la phase de l’Epuisement, l’épuisement des ressources. Dans ce cas, il y a risque de ne plus parvenir à faire face et de s’effondrer. Les conséquences du stress chronique sont assez nombreuses et portent sur plusieurs aspects : – Les aspects physiques et physiologiques, avec le développement possible de certaines maladies en particulier cardio-vasculaires, une baisse de l’efficacité du système immunitaire, des soucis de digestion, de sommeil et de fertilité. – Les aspects cognitifs, mentaux et émotionnels qui peuvent entrainer notamment des problèmes de mémoire, d’attention, et de concentration, des tendances à la rumination, une augmentation du risque de burnout ou de dépression. Le stress chronique peut également s’accompagner d’irritabilité, de fatigue, et/ou de lassitude. – Les aspects économiques et sociaux sont également à envisager. Le stress chronique a un coût sociétal, lié notamment à la prise en charge médicale de certaines pathologies ou encore à l’augmentation de la fréquence et de la durée des arrêts maladies, par conséquent du montant des indemnisations à verser. Le stress peut aussi entrainer des difficultés relationnelles : isolement, repli sur soi, difficultés à communiquer….

Perspectives pour l’amélioration des conditions de travail

Partenaires cmsmSoigner la communication et les relations apparaît comme central dans la prévention des risques psychosociaux du dirigeant, et donc de sa santé également. Il s’agit de repenser la relation du chef d’entreprise avec ses équipes. L’une des clés est la confiance. Sur le terrain, au plus près des réalités, les collaborateurs sont souvent les mieux placés pour aider à la prise de décisions. La non-sanction systématique des erreurs afin d’en tirer des enseignements et de les partager en interne, la transmission de l’information, sont également des axes de prévention.

Dans cette perspective, la délégation devient alors plus évidente et peut contribuer à réduire la charge mentale et la charge de travail du dirigeant, nous l’avons vu, facteurs de risques majeurs.

L’objectif est aussi de rompre l’isolement dans lequel se trouve généralement le chef d’entreprise, en particulier lorsqu’il est confronté à certaines difficultés (problème de trésorerie, procédures judiciaires…). Il a tout intérêt à s’appuyer sur des soutiens internes pour parler de ce qu’il vit : ses projets, ses doutes, ses réussites, ses échecs…

Le réseau consulaire (Chambre des Commerces et de l’Industrie, Chambre des Métiers et de l’Artisanat, Chambre d’agriculture), des syndicats professionnels mettent en place des cellules d’écoute et de soutien. Le réseau APESA (Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aiguë), créé en 2013, apporte également une réponse pour les dirigeants en souffrance morale. Ce dispositif contribue à l’identification des chefs d’entreprise en situation de souffrance morale et leur propose, pour les cas les plus préoccupants une prise en charge psychologique, rapide, gratuit et à proximité de leur domicile, par des psychologues spécialisés dans l’écoute et le traitement de la souffrance morale provoquée par les difficultés financières. L’APESA prend en charge l’entrepreneur en souffrance dans les 24h suivant la prise de contact. Il est ensuite suivi par un psychologue à proximité, spécialement formé. Plus d’informations sur : https://www.apesa-france.com/ Numéro vert : 0 805 655 050 (permanence de 8h à 20h, 7 jours sur 7) Le CIP (Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises), créé en 1995, propose un rendez-vous gratuit et confidentiel afin d’informer sur la prévention des difficultés et les dispositifs d’aide et de soutien. Plus d’informations sur : www.cip-national.fr Les CIP Territoriaux reçoivent les dirigeants et les informent sur la prévention des difficultés des entreprises et les dispositifs d’aide et de soutien sur lesquels ils peuvent s’appuyer. Les chefs d’entreprise peuvent être reçus par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, un avocat ou un ancien juge du tribunal de commerce. Certains CIP ont mis en place des partenariats avec des représentants de l’Etat ou des Administrations tels que le Préfet, les Commissaires au redressement productif, les DRIEETS, les directeurs Banque de France, l’URSSAF, la Sécurité sociale pour les indépendants… Pour trouver votre CIP : https://www.cip-national.fr/prevention-des-difficultes-des-entreprises/cip-territoriaux-aide-entreprises-en-difficulte/

CIP 75 : CCI de Paris, Place de la Bourse – 75002 Paris (pour prendre rendez-vous : 01 55 04 31 78, de 9h à 13h et de 14h à 18h, ou cip.prevention75@gmail.com)

Assist Entreprise aide les dirigeants à trouver la bonne information et le bon interlocuteur pour les guider et les accompagner. Le Barreau de Paris fait partie des partenaires de la Région sur la plateforme. Il y met gratuitement à disposition près de 300 avocats pour conseiller les dirigeants et les aider à traverser les difficultés liées aux conséquences de la Covid-19 sur leur activité (droit des sociétés, droit commercial, droit fiscal, droit du travail, droit du numérique, gestion des baux commerciaux en temps de crise…) Plus d’informations sur : https://assistentreprise.smartidf.services/
En tant que Service de Prévention et de Santé au Travail notre mission est de conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants afin d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. Nous sommes donc légitimes et compétents pour vous accompagner en matière de prévention des risques professionnels et en particulier des risques psychosociaux présents dans votre entreprise. Notre équipe pluridisciplinaire composée entre autres d’IDEST, d’ergonomes, de psychologues du travail, d’une assistante sociale, de techniciens HSE et d’Assistantes des Services de Santé au Travail peut vous accompagner avec l’accord de votre médecin du travail. Pour toute demande ou pour en savoir plus sur nos possibilités d’accompagnement, vous pouvez vous rapprocher de votre médecin du travail et de son secrétariat.

 

SOURCES :

  • Thomas LECHAT, docteur en gestion de l’Université de Montpellier et Olivier TORRÈS, professeur à l’Université de Montpellier : « Les risques psychosociaux du dirigeant de PME : typologie et échelle de mesure des stresseurs professionnels »
  • AIPALS : « La santé au travail des dirigeants »
  • Olivier TORRES et Charlotte KINOWSKI-MOYSAN: « Dépistage de l’épuisement et prévention du burnout des dirigeants de PME. D’une recherche académique à une valorisation sociétale », Revue française de gestion
  • Laure LEYRIS : « Vaincre l’épuisement professionnel »
  • Sous la direction de Hervé HEINRY « La fabrique du changement au quotidien. Paroles de directeurs »
 

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Une réponse

  1. Je vous remercie pour cet état des lieux détaillé sur la prise en compte de la santé des dirigeants. Il est effectivement crucial de ne pas oublier cette catégorie de travailleurs, étant donné leur rôle essentiel dans le fonctionnement des entreprises.

    La crise sanitaire a clairement mis en lumière les défis auxquels sont confrontés les dirigeants, avec un risque de burnout bien plus élevé qu’auparavant. Les chiffres que vous partagez sont alarmants et soulignent la nécessité d’une attention accrue à leur bien-être.

    Je trouve particulièrement intéressantes les perspectives pour l’amélioration des conditions de travail, notamment en mettant l’accent sur la communication, les relations de travail et le soutien de partenaires extérieurs. Cela pourrait vraiment faire une différence significative.

    Merci encore pour ce partage instructif !

     

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